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Daniel Pecqueur fait partie intégrante de l’histoire fascinante des éditions Delcourt, une maison qui a su s’imposer comme un pilier dans le monde de la bande dessinée, même s’il a intégré cette grande aventure une dizaine d’années après sa création initiale, grâce à l’intermédiaire d’Olivier Vatine. Véritable colonne vertébrale de la collection emblématique « Série B » avec des œuvres audacieuses telles que Arctica, Golden Cup ou encore Golden City, il présente en cette fin d’année 2011 une nouvelle série captivante, Yiya, dont le premier tome vient fraîchement de pointer le bout de son nez sur le marché. Nous avons l’opportunité de plonger dans l’univers d’un homme passionné et attachant, alors que le compte à rebours est lancé pour une grande soirée festive marquant les 25 ans des éditions Delcourt, qui se déroulera à Saint Malo.

Vous êtes l’un des piliers des éditions Delcourt, et de sa collection « série B », qui célèbrent cette année un quart de siècle d’existence et d’histoires captivantes...

Effectivement, cela ne fait pas vingt-cinq ans que je fais partie de leur aventure, mais plutôt quatorze ans maintenant. Bien que je ne sois pas impliqué dans de nombreuses célébrations depuis le début de l’année pour marquer cet anniversaire, je suis déterminé à être présent ce soir (samedi 29 octobre 2011, note de la rédaction), car c’est une occasion trop belle pour la manquer.

Après l’univers intrigant de Golden City et les mystères d'Arctica, Yiya nous plonge dans une nouvelle série qui se déroule dans un milieu aquatique fascinant. Êtes-vous un passionné d’histoires liées à l’eau ? (sourire)

« D’eaux » s’écrit comment ? (sourire) C’est une affection qui m’est venue naturellement. En dehors des mystères de l’espace, la mer reste l’un des derniers endroits que l’on peut encore explorer, la dernière terre d’aventures et de découvertes. J’ai toujours été fasciné par l’eau, elle a un pouvoir d’attraction indéniable.

On parle de Yiya depuis le début de l’année 2011, bien que sa sortie ait été prolongée plusieurs fois. Quelles en sont les raisons ?

J'ai traversé quelques problèmes personnels. Mon éditeur a fait preuve de compréhension et a décidé de décaler la sortie du premier tome pour qu'il y ait finalement moins de temps d'attente entre la première et la deuxième sortie. Avoir des dates de sortie rapprochées est crucial pour le succès d’une nouvelle série.

Une fille éloignée de son grand-père dans Arctica, une orpheline à la recherche de son père adoptif dans Yiya, et des enfants perdus dans Golden City où il est également question d'orphelins dans l'un des derniers dialogues du tome 9…

C’est un fait vrai. Je ne suis pas toujours conscient de ces motifs récurrents lorsque j’écris. Cependant, la question des orphelins semble provenir de l’histoire de ma propre mère. Elle, étant italienne, a été prise en charge dès l’âge de sept ans par sa tante, venue en France pour fuir la misère. Elle a donc été élevée par une autre personne que sa propre mère, ce qui a sans doute influencé certaines de mes narrations.

À la fin du dernier tome de Golden City, cette thématique revient avec ces enfants perdus, inquiets pour le destin d'autres enfants, ceux des « méchants »…

Tout à fait. Cela peut être lié au fait que je n’ai pas d’enfant et que ma demande d’adoption a été refusée à cause de ma profession, ce qui me pousse à explorer ce sujet de manière indirecte dans mes œuvres.

On trouve souvent une touche d'érotisme dans vos albums ; cependant, bien que la maison close et les filles de joie soient présentes dans ce premier tome de Yiya, il y a moins de nudité… Cela se rapporte-t-il au climat de l'histoire ? (sourire)

C’est une possibilité. Peut-être, je suis devenu plus soucieux de mon public, car avec Golden City, les premiers lecteurs ont parfois aussi jeune que 10-11 ans. Je n’ai rien contre l’érotisme, mais si on en met trop dans une histoire, cela peut devenir excessif. Dans Yiya, bien qu’il n’y ait pas de famille pour elle, à part Rogo, je voulais introduire un autre aspect familial, d’adoption, ce qui explique le rôle des filles de la maison close et leur impact sur l’histoire.

Vous transformez donc les pensionnaires du « Pink submarine » (NDLR : les « hôtesses » dont il est question précédemment) en marins prêts à affronter le gros temps : cette inversion de rôles est savoureuse.

Effectivement. (sourire) Olga pourrait presque être perçue comme la mère de Yiya, en faisant référence à leurs âges respectifs. C’est elle qui encourage les autres à aller de l'avant. Il y a une sorte de communauté de solidarité. Le père adoptif de Yiya, Rogo, représente tout pour elle, au point qu’elle mêle un peu ses sentiments en grandissant. J’étais intéressé par l’idée que ce soient des femmes qui l’aident, car elles parviennent à comprendre les nuances de l’affection et des sentiments qui existent entre Rogo et Yiya.

Selon vous, combien de lecteurs entonneront « we all live in a pink submarine » en lisant Yiya ? (sourire)

Je dois admettre que j’y ai réfléchi ! (sourire) C’est un clin d’œil, car je n'étais pas sûr de l'endroit où situer la maison close. Cela me dérangeait que son contexte soit trop « normal ». L’idée du sous-marin m’est venue après avoir visionné un reportage sur des sous-marins russes stationnés en Finlande, qui ne bougeront probablement plus. Cela illustre aussi le remplacement de la guerre par l'amour.

Il n’y a aucune indication de lieu et de temps jusqu’à la dernière page de l’album. Cette absence de repères était-elle intentionnelle ?

Oui, absolument. L’action se déroule dans un pays de l’Est qui pourrait être interprété comme, selon mes réflexions, la Russie, mais cela pourrait très bien se passer ailleurs. Je l’imagine proche du détroit de Bering, dans un petit port de pêche. De cette manière, on peut expliquer pourquoi le fleuve est couvert de neige et de glace. Je ne voulais pas situer l’histoire de manière précise, car dès que les personnages se déplacent, ce qui est représenté à la fin de l’album sur une carte, j’aurais été contraint de respecter les distances, les moyens de transport… Tout cela aurait limité ma créativité. Donc, là, au bord de la mer, quelque part en Russie, sans vraiment identifier l’endroit, cela m'offre plus de libertés. Le lecteur sait simplement qu’il est sur Terre, ce qui me plaisait, car j’aimais l’idée de le laisser un peu désorienté, dans un lieu qui lui est inconnu, sans que cela ne soit déstabilisant au moment où le récit bascule vers le fantastique.

C’est donc une approche entièrement différente de celle adoptée dans Arctica, où les lieux étaient rigoureusement définis…

Absolument. Pour Arctica, il était crucial pour moi de situer précisément chaque endroit. Et puis, aimant beaucoup Venise, je souhaitais donner une dimension plus colorée avec les déguisements.

Comment collaborez-vous avec vos dessinateurs pour définir les aspects physiques de vos personnages ? Leur fournissez-vous un profil très détaillé ou laissent-ils libre cours à leur créativité selon les traits de caractère ? (pensons à la mèche d’Harrison, le chignon de Holly, les couleurs de cheveux tons bleu dans Arctica ou rose dans Golden Cup)

Le chignon de Holly, par exemple, ce n’est pas moi qui l’ai proposé. C’est Vatine qui était impliqué dès le début du projet, et qui a suggéré à Alain Henriet une coiffure avec une touche comics ou un peu manga. Ils ont donc choisi cette direction… D’ailleurs, elle change de coiffure dans le sixième tome… Pour ce qui est des cheveux bleus, c’est bien moi. Je voulais que dès qu’on la voit, il y ait une distinction, qu’elle ait l’apparence humaine tout en ayant un signe qui la rende unique. Quant à la chevelure rose dans Golden Cup, je me suis inspiré d’un reportage sur le Japon… À Tokyo, il existe une rue très fréquentée remplie de boutiques qui, pour attirer des clients, engagent des jeunes filles particulièrement mignonnes, habillées en petites jupes et avec des cheveux teints de toutes les couleurs.
Revenons à la question initiale. À l’origine, bien que je ne connaissais rien au monde de la bande dessinée, j’avais cependant une connaissance significative du cinéma, ayant étudié au conservatoire des Arts Dramatiques. Je lisais une revue qui s’appelait « L’avant-scène cinéma », qui détaille presque scène par scène ce qui se passe dans un film, avec les dialogues transcrits en dessous. Ainsi, lors de ma première rencontre avec un dessinateur pour présenter mon scénario, je me suis basé sur cela, en fournissant énormément d’indications, en particulier sur le cadrage. Depuis, j’ai besoin de ce type de support pour enrichir mes récits.

Comment a été sélectionné Vukasin Gajic pour le dessin de Yiya ?

Je collabore sur Arctica avec un serbe qui passe, pour faciliter la communication, par un agent. Un jour, il m’a appelé pour me dire qu’il revenait d’un festival à Belgrade où il avait rencontré un dessinateur exceptionnel. Je lui ai donc envoyé le script de Yiya, le dessinateur a réalisé des essais et lorsque j’ai vu son travail, j’ai su immédiatement : « Il faut que ce soit lui. ».

Ce dessinateur assure également la mise en couleurs : vos nouvelles aventures aquatiques ne portent donc pas la signature de Pierre Schelle, perçue comme une co-signature de vos albums...

C’est exact, mais je trouve cela bénéfique que cela change un peu. Pour Golden City, il y avait un univers paradoxal très froid où la cité dorée contrastait avec une ambiance glaciale en rapport avec les orphelins. La palette de Schelle, très éclatante, convenait parfaitement à ces thèmes. Pour Yiya, j’ai souhaité obtenir une ambiance plus chaleureuse.

Combien de tomes Yiya prévoyez-vous ?

Bien que cela dépende beaucoup du succès de la série, je penche plutôt pour quatre ou cinq albums au total.

Avez-vous une idée de la conclusion de vos séries lorsque vous en posez les bases ?

Non, car je craindrais de verser dans le pléonasme. Cependant, je sais où je veux aller. Je sais ce que je veux raconter, mais pas combien de temps cela prendra. La raison est simple : entre deux albums, il faut généralement un an, donc au minimum quatre ans entre le premier et le quatrième. Pendant ces quatre ans, je lis, visionne des œuvres qui viennent nourrir le récit. Mes envies évoluent... Pour Golden City, par exemple, ce sont les échanges avec les lecteurs lors des dédicaces qui m’ont convaincu de l’importance des orphelins dans l’histoire.

Comment est née l'histoire du sanctuaire ?

Toute ma famille est italienne et vit près de Perugia, où le Tibre coule à proximité. En amont, un barrage a submergé un village. J'ai déjà utilisé cet élément pour l'un des épisodes de Golden City. C'est une idée éprouvante d'imaginer qu'une vie entière ait été engloutie en un instant, y compris le cimetière qui n'est plus accessible. Par contre, sur le plan esthétique, cela offre des possibilités séduisantes pour l'illustration.

Accepteriez-vous si on affirmait que le fantastique remplace la technologie et les machines présentes dans vos autres « séries B » (les Golden et Arctica) ?

Je ne pense d’ailleurs pas que Yiya sorte dans la collection « série B ». J’ai voulu mettre l’accent sur les émotions de mes personnages, créant quelque chose de plus introspectif, en contraste avec Golden City, par exemple.

À propos d'Arctica : même si ce n'est pas forcément de votre fait, la couverture du tome 2, qui déroge au modèle des trois autres, suscite des interrogations… (NDLR : celle-ci présente des plongeurs alors que les autres mettent en avant des véhicules rapides)

Oui, c’était une suggestion de Fred Blanchard. Il y a un aspect mystérieux dans cette couverture : que font-ils, où vont-ils… J'avais initialement envisagé une couverture présentant ce qu'ils découvraient dans la grotte, mais cela aurait pu trop dévoiler l’intrigue. Pour le tome 5, nous avons rapidement défini la trame, mais il n'est pas toujours simple de trouver la couverture parfaite.

L'argument écologique dans Arctica, autour de la guerre de l'eau, s’estompe au fur et à mesure des tomes…

C’est vrai. Cependant, je suis contraint de traiter la guerre de l'eau avec Dakota. Dans le tome 5, je n'ai pas eu l'occasion de lui donner un rôle significatif pour faire avancer ce pan de l'histoire. Il est donc impératif que je trouve un moyen de l'intégrer dans le prochain tome. Effectivement, j'ai une forte volonté de montrer cette thématique.

Ce mois-ci, le 9ème tome de Golden City sort également : faire couler la cité et éliminer Harrison Banks est-il le rebond le plus logique selon vous ? Avez-vous réfléchi aux possibles traumatismes des fans ? (sourire)

J’étais inquiet de me répéter. Je me suis posé la question : « Que vais-je conter ? Dois-je rester dans l’univers de Golden City ? » Cependant, Banks, après tout ce qu’il a vécu, ne pouvait plus retrouver son poste. Il était resté pour Léa, et les liens qu’il entretient avec elle sont expliqués dans ce neuvième tome. Banks prend conscience de la pauvreté, de la misère qu'il n'a jamais connues et ne peut donc plus « rentrer chez lui ». C’est cette raison qui m’a poussé à le faire disparaître, pour qu’on le retrouve plus tard, avec une transformation physique.
D’ailleurs, concernant sa mèche, j'avais demandé à Nicolas Malfin, au début, ce qu'il pouvait faire pour que sa coiffure ne soit pas trop rigide. Le monde autour de lui était déjà suffisamment raide, et il devait déjà porter un costume. Pour un homme qui rêvait de voyager dans l'espace, cela faisait beaucoup. Je voulais un signe distinctif qui le rende romantique. J’ai été inspiré par une bande dessinée de Milton Canif où l’on voit un jeune homme de 22 ans, pilote durant la guerre, appuyé contre un mur, les mains dans les poches. La porte du hangar est entrouverte, révélant l'avion qui l'attend pour partir. Ce jeune homme, sérieux et préoccupé, est prêt à s'élancer au combat, les cheveux tirés en arrière avec juste une mèche qui tombe. Cette mèche est excellente. Elle apporte une vulnérabilité au personnage, indiquant qu’il n’est pas un super-héros. C’est cette fragilité qui m’intéresse. Banks n’est pas un requin de la finance ; il en est arrivé là un peu par hasard, simplement parce que sa mère lui a demandé de reprendre « la boutique ».

Quant à la disparition de la cité, j’ai longtemps hésité. Je me suis demandé si les lecteurs allaient suivre ce choix narratif. Je me suis finalement dit que c’était une manière de relancer la série, même si Nicolas Malfin n'était pas tout à fait d'accord. On me reproche souvent d'accumuler les rebondissements dans mes récits, mais quand je considère le nombre de personnes qui lisent des bandes dessinées et le volume de nouvelles parutions chaque mois, je ne peux pas me permettre de reproduire la même formule. Golden City représente aussi l’histoire d’un homme qui possède tout et qui se retrouve soudainement sans rien, sans identité et sans ressources. Il réalise qu’il parvient à avancer grâce à des gens qui connaissent la misère. Cela me semblait compliqué de le laisser debout, en maintenant son monde, comme si rien ne s'était passé. Le naufrage de Golden City symbolise aussi ce qui se passe à l’intérieur de lui.

Avez-vous envisagé une conclusion pour Golden City ?

Nous avons déjà complété un premier cycle avec un virage amorcé à la fin de celui-ci. Ce qui m’inquiète avec les cycles, c’est que les lecteurs tendent à penser : « C’est fini ». Pour les auteurs, cela engendre une coupure. Il est vrai que pour cette série, cette séparation a été bénéfique, car elle m'a permis de faire sombrer la ville. En réponse à la question, je ne sais pas encore. Mais une chose est certaine, je ne prolongerai pas indéfiniment l’histoire. Ce qui m’intéresse, c'est de retrouver Banks, de découvrir ce qu'il est devenu, pourquoi il n’a pas donné de nouvelles. Mais aussi, imaginer la nouvelle version de Golden City…

Propos recueillis par L. Gianati et L. Cirade

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